Santéclair: un air de déjà vu !

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La plainte de la CNSD contre la société Santéclair – pour pratiques anticoncurrentielles, détournement de patients et violations multiples du droit fondamental au libre choix – a été rejetée par la cour d’appel de Paris (1er février 2018).

Décryptage avec Marc Sabek, Administrateur de CNSD-Services.
CDF : Malgré toutes les preuves et tous les témoignages, pourquoi cette décision n’a-t-elle pas considéré l’impact des pratiques de Santéclair sur le libre choix du patient ?
MS : Selon la Cour d’appel, les « conventions [entre praticiens et plateformes-réseaux]prévoient généralement, d’une part, que les organismes complémentaires de santé orientent les assurés vers les chirurgiens-dentistes agréés par le réseau… ».
Or, la Cour oublie d’appliquer les multiples dispositions législatives qui protègent le libre choix. Elle oublie même de viser la loi qui a consacré les réseaux-plateformes (n° 2014-57 du 27 janvier 2014, dite loi Le Roux) qui précise : « Ces conventions ne peuvent comprendre aucune stipulation portant atteinte au droit fondamental de chaque patient au libre choix du professionnel… »
Si les mots ont bien un sens, le droit ne peut être à géométrie variable. On ne peut enterrer le libre choix au prétexte de favoriser la concurrence sauvage entre les assureurs au détriment de la Santé publique et des droits fondamentaux du patient. C’est ce que notre dossier démontrait : le dévoiement du libre choix (les rappels téléphoniques multiples, proches du harcèlement), la pression psychologique sur le patient pour l’inciter à changer de chirurgien-dentiste, allant parfois jusqu’à la désinformation.
CDF : Et que dit la Cour sur les ingérences des « conseillers-santé » dans les traitements médicaux ?
MS : Nous avons présenté de nombreuses preuves démontrant que ces agents prétendent fournir un avis objectif sur les soins bucco-dentaires proposés par les chirurgiens-dentistes traitants. Alors qu’ils ne sont pas chirurgiens-dentistes et n’ont aucune formation, aucune compétence, leur permettant de fournir un avis au regard du seul devis. Nous avons listé les formules trompeuses destinées à faire croire aux patients que ces prétendus « conseillers » auraient la qualité pour donner avis et conseil médical. Et nous avons souligné que de telles pratiques déloyales faussent le libre jeu de la concurrence au détriment des praticiens non affiliés au réseau Santéclair.
La Cour d’appel, sans citer aucune de nos pièces, aucun de nos témoignages, a répondu par la formule lapidaire « il ressort des pièces du dossier » que les avis sont uniquement tarifaires et ne comportent aucune mention médicale. La Cour a affirmé qu’il n’y avait aucune référence aux besoins sanitaires du patient, alors que les publications même de Santéclair précisent que leurs agents ont pour mission de « vérifier que le devis est adapté aux besoins » de l’assuré !
CDF : Mais sur le terrain du droit commercial lui-même, n’y a-t-il pas entrave à la libre concurrence par les accords de Santéclair avec ses praticiens-partenaires ?
MS : C’est également la démonstration que nous avons faite. Le « réseau-plateforme » Santéclair constitue, matériellement et fonctionnellement, une entente anti-concurrentielle. Le contrat avec les praticiens-adhérents n’est ni plus ni moins qu’une collusion de volontés ayant pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché. Car, de fait, ce contrat avec les praticiens-partenaires leur fixe un seuil maximal d’honoraires, ce qui a pour conséquence d’induire une baisse artificielle des prix.
De nombreuses situations comparables, dans divers autres secteurs économiques, ont été sanctionnés par les juridictions. Là, la Cour d’appel ne se prononce pas au prétexte que cette question n’avait pas été traitée par l’Autorité de la concurrence !
Notre demande d’ordonner une expertise afin d’évaluer les comportements anti-concurrentiels de cette société a subi le même sort. Si l’Autorité de la concurrence, réputée pour la qualité et la ténacité de ses enquêtes, a choisi de ne faire aucune investigation, aucune mesure d’instruction, la Cour d’appel estime que notre demande d’expertise ne peut être recevable !
Autrement dit, la Cour d’appel nous invite à reprendre la procédure dès le début devant l’Autorité de la concurrence pour demander à ce que celle-ci fasse une instruction approfondie, au besoin avec une expertise sur les comportements de Santéclair, et qu’elle examine les contrats des praticiens-adhérents sous l’angle de la collusion anti-concurrentielle.
CDF : Quelle est votre conclusion ?
MS : L’arrêt est bref, non motivé en dehors de la seule référence au code du Commerce. Les réponses sont laconiques, voire absentes pour les questions-clés (collusion et enquête sur les comportements anti-concurrentiels). La décision laisse persister toutes les incertitudes sur les règles de droit applicables et les sanctions qu’encourent les personnes morales lorsqu’elles violent les dispositions législatives du code de la Santé publique.
@marcsabek

 

 

Pratiques « à risques potentiels »,
aggravation des inégalités, écarts avec le droit, etc.,

L’IGAS analyse la pratique des réseaux dans le cadre de la santé publique.
Dans son rapport sur « Les réseaux de soins » (juin 2017), l’IGAS relève que « les principes déontologiques qui régissent la profession de chirurgien-dentiste ne s’appliquent pas directement aux réseaux de soins, ce qui les prémunit contre les recours pour publicité abusive ou détournement de clientèle… qui échappent ainsi à tout contrôle de la part des autorités sanitaires, au plan national comme local. »
L’IGAS met en garde contre la collusion réseaux / centres de santé, soulignant que « tous les réseaux dentaires incluent des centres de santé considérés, du fait de leur modèle économique, comme « à risques potentiels » par la récente mission IGAS consacrée aux centres de santé dentaires. Ces risques ne sont pas spécifiques aux réseaux de soins mais ils sont en décalage avec le discours tenu par certaines de ces plateformes sur les garanties offertes par leurs réseaux ».
La mission a par ailleurs clairement conclu que, « loin de corriger les inégalités d’accès aux soins, les réseaux auraient plutôt tendance à les accentuer : les assurés qui bénéficient des meilleurs contrats complémentaires sont ceux qui ont le plus accès aux réseaux et aux prix préférentiels qu’ils offrent. »
Enfin, en matière de droits élémentaires des patients, l’IGAS relève des pratiques que l’Autorité de la concurrence aurait dû relever : « les pratiques constatées et l’analyse des conventions font apparaître une grande variabilité voire des écarts avec le droit, qu’il s’agisse du recueil duconsentement des assurés/patients, de la conservation des données personnelles ou desresponsabilités qui incombent aux plateformes. »
Enfin, l’IGAS écrit dans sa synthèse : « les réseaux de soins opèrent une restriction de la liberté de choix et de prescription, modérée pour les patients mais très forte pour les professionnels de santé (sur le plan financier et sur le plan des pratiques que les réseaux encadrent très fortement).
Compte tenu de ces constats, la mission recommande d’améliorer la connaissance (très lacunaire) des réseaux de soins et de leur impact sur le système de santé, grâce à un dispositif structuré de recueil de données et des études ad hoc : effet prix et effet volume liés aux réseaux, impact sur l’accès aux soins… ».
Des questions légitimes … que ni l’Autorité de la Concurrence, ni la Cour d’Appel n’ont voulu affronter.

 

 

Lire l’arrêt de la Cour d’Appel